Jimmy Ruf : WHY ARE YOU WEARING THAT STUPID MAN SUIT ?
Curateur: Clément Thibault
Vernissage: samedi 25.05.2019 / 16h-20h
Exposition: 25.05.2019 – 15.06.2019 / samedi 16h-20h ou sur rendez-vous
Finissage: samedi 15.06.2019 / 16h-20h + Talk: 18h
Nous sommes la génération de la fin du monde. En tout cas, on nous l’a tellement répété, démontré, prouvé, qu’on a fini par y croire. Histoire un peu cruelle que celle qu’on nous raconte, depuis qu’on est petit, sans perspective, si ce n’est celle de sa fin. Depuis quelques années, il me semble assister à une recrudescence significative des vanités dans les expositions que je fréquente, comme un témoin de ce grand frisson que nous vivons collectivement.
Et cela pose des questions, à tous. Chaque certitude devient le lieu d’interrogations renouvelées, de dilemmes éthiques. Dont une, particulièrement insidieuse, à ceux qui créent : que faire, quand on va être les derniers, vraisemblablement, à peupler la planète ? Comment penser un art sans postérité ? Après notre passage, la Mort. La sixième extinction qui emportera tout, les humains, les animaux, les végétaux, et aussi toutes les traces de notre passage dans cette galaxie. Les poussières d’étoiles iront faire leurs moutons ailleurs.
En ce jour, que j’espère pluvieux à l’heure de ces lignes, puisque cela correspondrait à l’atmosphère généralement admise à ce type d’évènements, ce 25 mai 2019, Jimmy Ruf a décidé d’exhiber l’image de son corps inerte. Pourquoi ? À quoi ça rime de se représenter comme ça, raide, on ne sait si c’est parce que le sang a refroidi ou si c’est à cause du plastique de l’effigie, dans un cercueil devenu tombeau ? Pourquoi répéter ce geste, un rite funéraire, mais qui ne sanctionne pas le passage d’un humain vers…? Ou de quel passage parle-t-on alors ?
Jimmy Ruf n’est pas le premier artiste à se représenter ainsi. Il ne s’est pas montré la tête coupée, comme l’avait fait le Caravage (David avec la tête de Goliath (1606-07)), après l’assassinat, après avoir donné la mort, déchu de Rome et mort, déjà, un peu, de l’intérieur. Ni comme James Lee Byars (The Death of James Lee Byars (1982/94)), artiste de la présence et de sa disparition, de ce qui surgit et se dissipe, qui a mis en scène son propre départ, en s’allongeant dans une salle parée d’or, peut-être aussi pour conjurer la maladie qui le rongeait — même si le petit corps de Jimmy dans ce grand cercueil doré rappelle comme un écho la performance. Ni encore comme Jas Ban Ader qui en 1976, s’est fait immortaliser en embarquant à bord de l’Ocean Wave, partant pour une traversée de l’Atlantique dont il ne reviendrait jamais, action sonnant comme une dernière performance dans un suicide théâtralisé — la performance de la traversée devait d’ailleurs s’appeler In Search of the Miraculous. Ni, encore, comme Timothy Leary, qui ne s’est pas donné la mort sur Internet en live, comme il l’avait promis, mais a demandé qu’on l’enregistre, agonisant, dans son domicile, alors qu’il égrenait les « why not » et commandait à manger.
Tout ce qu’il y a d’héroïque dans ces actions, dans ces derniers gestes éclatants, est relégué à une représentation simple, presque ridicule. Un fruste bricolage, une petite poupée imprimée en 3D après un scan de Jimmy, qui portait ce jour-là le costume de ses noces. Qu’est-il ce simulacre ? Un écho aux statues funéraires, tous ces objets que l’on posait, en Egypte, en Afrique, en Sibérie, en Amérique latine, pour accompagner les morts, dans une idée d’intercession et de passage entre deux mondes ? Est-ce un Jimmy comme un memento mori, c’est-à-dire un objet inerte rappelant l’inéluctabilité de la mort, dans la tradition occidentale des objets inertes, sans action, sans volonté propre ni autonomie, ou un objet magique, actif, d’intercession ? Est-on dans le cadre de l’esthétique et de l’art, ou de la magie et du soin ? L’image de Jimmy ou un fétiche ? Toutes ces paternités iconographiques, artistiques et cultuelles, existent puisqu’elles ont peuplé nos conversations en pensant l’exposition. Ces inspirations et jeux de citations permettent aussi d’enraciner cet acte dans la grammaire, nécessairement millénaire, de la mort et de son culte.
Mais quelque chose résiste. Tenace, reste l’évocation du jouet. Ce Jimmy de plastique, les mains aux épaules, on dirait quand même un petit Action Man, qu’un enfant, dans un fugace instant de clairvoyance dans les histoires de super-héros qu’il se raconte aurait vu faillible, mortel, un instant pendant lequel il aurait vu dans l’incarnation de testostérone, de virilité et de puissance, la possibilité d’y passer, et lui aurait organisé des funérailles en conséquence, comme il en a vécu quelque-unes, sans trop comprendre, si ce n’est que la vieille tantine, il ne la reverrait plus.
Tous les artistes et les objets de culte évoqués ont en commun un usage face à la mort. Certains assuraient une intercession entre deux mondes, celui des vivants et des morts, entre lesquelles des communications étaient possibles. Les seconds, les formes des James Lee Byars, Caravage ou Jas Ban Ader, avaient aussi pour fonction de conjurer la mort, l’arrêt brutal. De continuer d’exister à travers autre chose que soi, mais qui est soi aussi, c’est-à-dire son œuvre. Plus largement, l’histoire du portrait est peuplée d’angoissés à l’idée qu’on les oublie, et qui se sont mués dans le silence des images pour qu’on continue à les regarder. Aujourd’hui, Dieu nous a quitté, ne nous laissant rien, en tout cas peu d’espoir sur ce qui peut nous arriver ensuite, et les discours déclinistes, voire apocalyptiques ou « collapsologique », sont passés de potentialités à certitude. Les civilisations passent, on le sait. Paul Valéry l’a écrit, Thomas Cole l’a peint, et nous ne sommes ni les premiers, ni les derniers, à subir cette urgence apocalyptique, mais sans jamais penser qu’on atteindrait le degré d’interpénétration de notre monde, que les civilisations deviendraient une, que le péril serait partagé.
L’autoportrait que nous livre Jimmy Ruf est une image dérisoire, mais non cynique. Conscient, je pense, qu’il est devenu difficile pour un artiste de penser la postérité, il n’a pas cherché à dépasser son statut, sa finitude, par une œuvre flamboyante, pathétique, qui lui survivrait. Bien sûr que Jimmy pense à sa propre mort en agissant ainsi. Mais, quand un artiste se met à mort, c’est le genre humain qu’il emporte dans les plis de son linceul. Retour du soin. Volonté toute christique de laver le péché du monde. Conjurer le sort d’une humanité en péril, mais sans la flamboyante arrogance d’un Jésus torturé, dont la mort a été souhaitée et acclamée par une foule en délire, qui a souffert le pire martyre que l’on puisse essuyer. Ce petit corps gît dans une mort trop grande pour lui, comme celle qui nous attend. Petite mort, étriquée, dont nous sommes la propre cause, par notre agitation et notre cupidité. La ciguë, on ne nous l’a pas imposée, on l’a bue seuls.
Sans cette perspective, que quelque chose nous survive, enfants, œuvres, nous devons réapprendre à mourir, à habiter le présent. Dans cette synthèse des cultes et des arts, rendue inopérante par l’urgence de notre situation, de notre condition, Jimmy Ruf nous sert une vanité fiévreuse. Même la vanité est vaniteuse, même la vanité est vaine. Message de mort sublime, beau et angoissant, prophétique.
Clément Thibault
Hiatus
Deux vidéos d’artistes = 00:36:35
Quatre projections : 16h – 17h – 18h – 19h
Eitan Efrat & Sirah Foighel Brutmann : « Nude descending a staircase » 00:18:25
Xarli Zurell : « Thirteen grand » 00:18:10
samedi 11.05.2019 / 16h-20h
Au commencement il y avait « Thirteen grand » la vidéo proposée par Xarli que j’ai tout de suite trouvée à la fois habile et intéressante. Habile par le traitement de l’image et du son et intéressante par le pouvoir de suggestion savamment entretenu par l’artiste. Sans en connaître l’auteur il est assez facile de deviner que c’est une vidéo de plasticien, tellement la forme est soignée avec ses tableaux abstraits intégrés entre les plans fixes du monologue protagoniste.
Alors, je suis allé chez Argos afin d’y trouver en résonance, une oeuvre qui pourrait dialoguer avec ce premier film… et après des heures de visionnage je suis resté en arrêt devant une création signée Eifrat et Brutmann. « Nude descending a staircase » est un film qui parle d’un monument construit à la mémoire de Walter Benjamin. Rien à voir avec l’oeuvre de Xarli Zurell, et pourtant je pense que l’enchaînement des deux devrait constituer une expérience assez forte.
J’ai vécu la violence et la gravité du nu descendant l’escalier comme un passage initiatique, un peu comme si la vidéo fragmentée par un montage fait d’images d’amateurs suggérait l’angoisse interminable de l’exil de Walter Benjamin, avant de nous offrir un temps de flottement en nous présentant le monument à sa mémoire.
Pas mal de temps à coulé sous les ponts depuis le suicide du philosophe.
Dans l’Europe actuelle, l’exil est plus souvent vécu comme un problème identitaire et le travail de Xarli nous maintient dans un état de doute teinté de mélancolie.
Voilà pourquoi « Thirteen grand » sera projeté après le « Nude descending a staircase ».
Il y a une cohérence formelle qui provoque une rupture temporelle. Un hiatus qui s’affirme sur une logique émotionnelle pendant +-36 minutes.
Laurent Jourquin
Le V2Vingt est soutenu par la fédération Wallonie Bruxelles et image de Bruxelles
Pieter Geenen : I am not a ghost(FR)
Pour son exposition au V2Vingt, Pieter Geenen poursuit son exploration du médium photographique en proposant une sélection d’images prises lors de séjours autour de la frontière fermée séparant la Turquie et l’Arménie1. Sondant toujours plus l’espace physique du paysage dans sa relation avec la notion d’espace public et dans son rapport au temps et à la durée, l’artiste propose des fragments dont l’abstraction questionne notre lien aux images et à la mémoire.
Une première image nous convie. Reprenant le format et le pliage de la carte géographique, elle est l’invitation à l’exposition dont un exemplaire se trouve présenté déplié dans l’espace. Son motif est le détail d’un mur décrépi, couvert des graffiti de la population locale et des touristes, dans une église d’Ani de la province turque du Kars, capitale de l’Arménie vers l’an 1000, et “ville aux mille et une églises” abandonnée au fil des siècles. Ses inscriptions nous poussent à la prospection, aux déplacements, à tenter de trouver des échos aux signes qu’elles contiennent.
Une série de neuf photographies nous mène des ruines d’Ani au paysage des bords du fleuve Araxe, ponctué, entre autres, d’architectures de contrôle militaire, de maisons kurdes abandonnées et d’éléments de tombes yezidi en ruine. La technique photographique du sténopé rend les images spectrales, le sujet se détachant difficilement du fond. L’erreur photographique que produit parfois la pellicule vient créer également des halos qui mettent en question les espaces représentés. La volonté de rendre compte du passage du temps à l’aide d’effets photographiques conjuguée à la nécessité de rendre visible le sujet photographié opère ici comme une tentative de préserver les vestiges fragiles de l’histoire dont les échos se ressentent encore aujourd’hui.
Un son se fait entendre, des voix, des bruits d’outils, de machines. Captée en prise directe lors de la construction du plus grand temple dédié au culte Yezidi à Aknalich, l’on entend des ouvriers arméniens au travail entre leurs pauses café et déjeuner. Une présence humaine anonyme, un moment de vie structurée mais abstrait dans un environnement en mutation.
Le mont Ararat s’élève au loin, immobile tout autant qu’immuable, son sommet recouvert de neiges éternelles est un repère. Témoin des mutations géopolitiques de ses plaines environnantes, il est également objet de convoitise. Coeur de l’Arménie historique, il est au fil des siècles passé sous contrôle romain, perse, byzantin, arabe, ottoman, russe, puis turc. Sa représentation, agrandissement photographique d’une petite image digitale, surgit délicatement dans l’espace, telle une ouverture sur l’extérieur, un point de fuite qui se dérobe.
Pieter Geenen nous propose une plongée dans la matière photographique et sonore. Une matière mouvante qui doit être amadouée pour en percevoir des bribes, se frayer un chemin dans ce qu’elles veulent nous donner à voir, à entendre. Tenter d’en comprendre le sens, ou pas. Le monde est en mouvement perpétuel, l’artiste nous offre un arrêt sur image, une pause, entre apparitions et disparitions, d’où surgit le doute. Nous devons nous questionner sur notre propre rapport à la réalité, sur ce que l’on choisi de voir et ce que l’on refuse volontairement. Sur ce que l’on nous donne à voir et ce que l’on nous occulte. D’ailleurs, le rôle de l’artiste ne serait-il pas de prendre le risque de nous dévoiler avec son propre langage des images cachées? Ne serait-il pas le médiateur d’une histoire qui scande: “I am not a ghost”!
Nicolas de Ribou
1. La frontière Turco-Arménienne est fermée depuis 1993, lorsque le gouvernement d’Ankara dirigé par Suleyman Demirel a décrété un embargo, en réaction aux offensives arméniennes dans le Haut-Karabagh.
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Pieter Geenen : I am not a ghost(NL)
In deze tentoonstelling in V2vingt zet Pieter Geenen zijn verkenning van het medium fotografie verder met een selectie beelden gemaakt rondom de gesloten Turks-Armeense grensi.Hij toont ons fragmenten die door hun abstractie onze connectie met beelden en met het geheugen uitdagen. Vanuit zijn eigen band met tijd en duur tast de kunstenaar daarbij de fysieke ruimte van het landschap verder af, in relatie met de notie van publieke ruimte.
Een eerste beeld leidt ons binnen. Het formaat en de plooiwijze refereren aan een landkaart. Een opengevouwen exemplaar van dit beeld nodigt uit tot de expo. Erop afgebeeld zien we een detail van een muur met afbrokkelend pleisterwerk, bekrast door passanten, afkomstig uit een kerk in Ani in de Turkse provincie Kars. Rond het jaar 1000 was Ani de hoofdstad van Armenië, een “stad van duizend en één kerken”, die in de loop der geschiedenis werd verlaten. Deze inscripties dwingen ons tot verdere prospectie, verplaatsing, het proberen vinden van echo’s van de symbolen die ze bevatten.
Een reeks van negen foto’s brengt ons van de ruïnes van Ani naar een landschap langs de oevers van de rivier Araks, bezaaid met onder andere gebouwen van militaire controle, verlaten Koerdische huizen en elementen van vervallen Yezidi-grafstenen. De fotografische techniek van de gaatjescamera maakt de beelden haast spookachtig. Het onderwerp komt daarbij slechts moeizaam los van de achtergrond. Fotografische fouten, soms zichtbaar op de film, creëren eveneens halo’s die de afgebeelde ruimtes in vraag stellen. Het streven naar een bewustwording van het verglijden van de tijd aan de hand van fotografische effecten, gekoppeld aan de noodzaak om het gefotografeerde onderwerp zichtbaar te maken, handelen hier als een poging om de fragiele resten van de geschiedenis -waarvan de echo’s zich tot op vandaag nog laten voelen- te bewaren.
Er klinkt een geluid, stemmen, geluiden van werktuigen en machines. Rechtstreeks opgenomen tijdens de bouw van de grootste Yezidi-tempel in Aknalich, horen we Armeense arbeiders aan het werk tussen hun koffie- en lunchpauze in. Een anonieme menselijke aanwezigheid, een moment van gestructureerd maar toch abstract leven in een veranderende omgeving.
De berg Ararat rijst op in de verte, even onbeweeglijk als onveranderlijk. De met eeuwige sneeuw bedekte top is een oriëntatiepunt. Getuige van geopolitieke veranderingen in de omliggende vlakten, is de Ararat zelf ook onderwerp van verlangen. Gelegen in het hart van het historische Armenië, passeerde hij in de loop der eeuwen onder Romeins, Perzisch, Byzantijns, Arabisch, Ottomaans, Russisch en uiteindelijk Turks bewind. Zijn afbeelding, een fotografische uitvergroting van een detail uit een digitaal beeld, verschijnt delicaat in de ruimte, als een opening naar buiten, een vluchtpunt dat zich terugtrekt.
Pieter Geenen stelt ons een duik in de fotografische en sonore materie voor. Een bewegende materie die overhaald moet worden om er flarden van te kunnen waarnemen, om zich een weg te banen in wat ze ons wil laten zien en horen. Proberen om er de betekenis van te begrijpen, of niet. De wereld is immer in beweging, terwijl de kunstenaar hem net stilzet voor ons. Een pauze, tussen verschijningen en verdwijningen, waar de twijfel ontstaat. We moeten onze eigen verhouding met de realiteit in vraag stellen, wat we kiezen om te zien en wat we bewust weigeren. Wat men ons laat zien en wat men ons verhult. Is het trouwens niet de rol van de kunstenaar om het risico te nemen ons verborgen beelden te onthullen met zijn eigen taal? Is hij niet de bemiddelaar van een verhaal en een geschiedenis, die scanderen: “I am not a ghost!”?
Nicolas de Ribou
1. De Turks-Armeense grens is gesloten sinds 1993, toen de Turkse regering een embargo uitvaardigde naar aanleiding van de Armeense offensieven in Nagorno-Karabach.
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Pieter Geenen : I am not a ghost(EN)
For this exhibition in V2Vingt, Pieter Geenen continues his exploration of the photographic medium with a selection of images made around the closed Armenia-Turkey border. He presents fragments which, through their abstraction, challenge our relation with images and memory. Through his own association with time and duration, the artist further explores the physical space of the landscape, in connection with the notion of public space.
A first image invites us in. With a format and folding method referring to a map, the unfolded image introduces us to the exhibition. Depicted is a detail of a crumbling plaster wall, covered with writings from passers-by, from a church in Ani in the Turkish province of Kars. In the year 1000, Ani was the capital of Armenia, a “city of a thousand and one churches”, abandoned throughout the following centuries. These inscriptions force us to further prospection, to displacement, trying to find echoes of the symbols they contain.
A series of nine photographs guides us from the ruins of Ani to a landscape along the banks of the Arax river, scattered with, amongst others, buildings of military control, abandoned Kurdish houses and elements of dilapidated Yezidi tombs. The photographic technique of the pinhole camera causes the images to look spectral. The subject barely detaches itself from its background. Photographic errors, sometimes visible on the film, create halos that question the portrayed spaces. The aspiration to gain an awareness of the passing of time through photographical effects, in combination with the necessity to expose the photographed subject, act as an attempt to preserve the fragile remains of history, whose echoes can be felt up to today.
A sound is heard, voices, sounds of tools and machines. Recorded directly during the construction of the biggest Yezidi temple in the village of Aknalich, we hear Armenian labourers at work in between their coffee and lunch break. An anonymous human presence, a moment of structured yet abstract life in changing surroundings.
Mount Ararat rises up in the distance, equally immobile as unalterable. Its summit, covered in eternal snow, is a landmark. Witness of geopolitical shifts in its surrounding plains, the mountain itself is a subject of desire. In the heart of historic Armenia, over the course of centuries, it saw itself under Roman, Persian, Byzantine Arabic, Ottoman, Russian and then Turkish rule. Its representation, a photographical enlargement of a detail from a digital picture, appears delicately in the room, an opening towards the exterior, a vanishing point that withdraws itself.
Pieter Geenen presents a plunge in the photographic and sonorous matter. A moving matter that has to be persuaded to be able to perceive mere snippets from it, to work one’s way through what they want us to see and hear. To try to understand its meaning, or not. The world is ever evolving, while the artist offers to bring it to a standstill. A pause, between appareances and disappearances, where doubt arises. We have to question our own relationship with reality, what we choose to see and what we willingly reject. What one shows us and what one hides from us. Besides, isn’t it the role of the artist to take the risk to reveal hidden images through his own language? Isn’t he the mediator of a (hi)story that declaims: “I am not a ghost!”?
Nicolas de Ribou
1. The Armenia-Turkey border is closed since 1993, when the Turkish government imposed an embargo, as a reaction to the Armenian offensives in Nagorno-Karabach.
Pedro Ruxa est Portugais, il vit à Bruxelles depuis plusieurs années où il s’est formé à L’ atelier Peinture de l’ENSAV La Cambre.
Sa peinture revendique le droit d’être une peinture de l’affect et du sensible, tant dans le traitement pictural comme dans les thèmes de prédilection qu’il investigue, qui s’enracinent souvent dans un vécu et quotidien personnels.
D’un projet à l’autre, les styles picturaux de la pratique de Ruxa diffèrent, autant qu’il revendique le recours à des formes de langages multiples pour essayer de toucher et de communiquer le sensible.
C’est que la peinture de Ruxa est aussi une peinture du dialogue et de la transmission, qui loin de l’éviter, cultive l’émotion et la communication de celle-ci.
Formes, couleurs, matières, mais aussi, désormais, lettres, mots et citations textuelles concourent à articuler un langage polymorphe et composite qui aspire à transmettre une impression, une émotion davantage q’un sens ou un message restrictif.
Cette fascination pour le langage, dans toutes ses formes, orales et écrites, mais aussi l’intime conscience des limites paradoxales de ce dernier (au plus on essaie de le préciser et de le maîtriser, au plus il nous échappe et se dérobe) sont assurément des éléments qui ont amené Ruxa à se diriger vers le langage pictural.
Cet art voué à la transmission d’émotions a pris ces derniers temps l’objet même de ses préoccupations et enjeux, tant sensibles que théoriques, comme sujet d’étude et motif iconographique.
Ce sont donc des peintures réfléchissant la communication, mais aussi et surtout ses entraves, visualisant le ou, plutôt, les langages (de l’oralité et de l’écriture aux langages du corps et du geste, en passant les expressions, le silence ou encore les arts plastiques et la peinture en particulier..), comme vecteurs de cette dernière, ainsi que la distance, l’espace-temps salutaires et salvateurs qui servent de toiles de fond à nos tentatives, fructueuses ou non, de communication.
Car, pour Ruxa, ce qui nous entrave et pourrait de prime abord apparaître comme un obstacle à la bonne communication, est sans doute aussi ce qui la sauve et qui, par-là même, nous sauve.
Pratiquant une indifférenciation sélective où les différentes formes de langages cohabitent, se complètent ou se télescopent, la sélection de toiles que nous avons opérée fait se juxtaposer des peintures figuratives à ce que l’on pourrait appeler des poèmes picturaux ou des peintures-poèmes.
Emprunts de textes littéraires ou poétiques et inspirations de l’artiste côtoient des toiles où les agencements des motifs figuratifs fonctionnent de façon lexicale, à la façon de séquences hiéroglyphiques accessibles à chacun.
Si l‘incursion scripturale de Ruxa s’inscrit bien évidemment dans une longue tradition plastique de l’usage ou l’intégration du mot, du verbe dans l’oeuvre, l’usage qu’il en fait est éminemment singulier.
C’est que chez Ruxa, les mots se font peinture, ou formes à la fois plastiques et picturales, vibrantes et rayonnantes, chaleureuses et lumineuses, se détachant de l’obscur silence des fonds noirs. Fugaces aussi, comme si Pedro Ruxa voulait, de façon rétinienne, nous exprimer leur insaisissabilité.
A l’inverse, une toile telle que Language is leaving me exprime, en inversant l’approche synesthésique et dia-linguistique de Ruxa, la valence littéraire des formes plastiques. Des taches de couleurs abstraites rayonnent depuis un livre ouvert disposé presque à même le sol sur un simple socle incliné à la façon d’un pupitre, et rappellent aussi l’origine consanguine, liée au verbe et à l’écrit au travers des enluminures, de notre tradition picturale occidentale.
Dans cette figuration ou abstraction de la communication, représentée de façon littérale ou métaphorique, des dialogues multiples – d’un langage à l’autre, d’un être à l’autre, d’un organe à l’autre, d’une couleur à l’autre, d’une temporalité à l’autre – se tissent et se croisent.
Des dialogues qui s’adressent autant à l’autre qu’à soi même, dans une citation du poème The Constant Dialogue, de Carlos Drummond de Andrade – oeuvre séminale qui nous a d’ailleurs inspiré le titre de l’exposition:
Choose your dialogue / and / your best word / or / your best silence
Even in silence and with silence
We speak Emmanuel Lambion, Bn PROJECTS
20 rue Vanderlinden
B-1030 Schaerbeek
https://v2vingt.net
Exposition ouverte les samedis, de 16 à 20h
et sur rdv,
du 16/02/2019 au 10/03/2019
Finissage le dimanche 10/03/2019, 16-20h
Destruction / reconstruction
screening of films by Sandra Hauser
artist talk led by Gatien Du Bois
In 1944, a V2 missile aimed at the Schaerbeek train station hit and partially demolished the site that now houses the V2Vingt exhibition space. However, this fact isn’t proven with certainty so that it may have been allied bombs that fell on it. In Germany, allied bombs fell in an eminently larger number. But, according to W.G. Sebald’s observations: this “experience lived by millions of people in the last years of the war, this unprecedented national humiliation, has never really been put into words and (…) those who were directly concerned did not share it or transmit it to the next generations”. The post-war economic miracle and the construction of a new German society took place at the price of a destruction / reconstruction going hand in hand with a ready repression mechanism: a psychic repression and a physical removal of the rubble transformed into artificial mountains.
To examine these destruction / reconstruction processes, Brussels curator Gatien Du Bois has selected four short films by German artist Sandra Hauser (born in 1983 in Bad Aibling, lives and works in Berlin): Trümmerfrauen – Even Wild Dogs Dance, 2016; Kapitulation, 2016; Weißt du wie viel Sternlein stehen (Do you know how many stars there are above?), 2010; The Patient. Investigation for a new identity, 2014-present. This screening will be followed by a discussion with the artist.
BIO
Sandra Hauser is an interdisciplinary artist, combining in her work various media as for example performance, sculpture, drawing, painting and video. She started her carrier as director, costume and stage designer at the theater. She studied Philosophy, Art History and Anthropology at the Ludwigs-Maximilian-University in Munich. In 2006 she studied visual arts with Stephan Huber and in 2011/12 with Hans Op de Beeck at the Academy of Fine Arts of Munich. In 2011 she was a guest student with Gregor Schneider at the Berlin University of Art. Since 2014, she has participated in numerous exhibitions, some of them in international museums and institutions. Her works are currently shown at Galerie Sandra Bürgel in Berlin.
Habitée par cette omniprésente question du langage comme espace codifié, caché (visible-invisible, derrière-devant…), elle décode les sons et les formes en une multitude de calculs qui lui permettent de chiffrer ces codes que le langage recouvre.
Elle redessine un espace fait de signes, de formes composées qui se répondent comme des miroirs. Comme une ballade circulaire, une forme primitive parfaite, faite d’une infinité de points qui se positionnent autour d’un centre dont ils sont équidistants.
« La vibration de l’onde qui, par son mouvement, crée une infinité de cercles à partir du même point me fascine en tant qu’image de représentation de mon être dans l’univers. Cette vibration dans un espace vide génère pour moi ces multiples signes liés au langage, aux sons abstraits qu’ils provoquent. Elle évoque pour moi la question de la fréquence temporelle en amenant au processus vibratoire la question du rythme, comme une musique qui reliera la Ville à l’Ensemble. »
Comment répondre à cette carte blanche proposée par Laurent Jourquin pour V2Vingt ?
J’ai la conviction qu’en art, l’égoïsme peut rencontrer les envies d’autrui. Le travail de Pierre Gerard me fascine depuis de nombreuses années. En tant que collectionneur, il est l’un de mes premiers artistes. Cet intérêt se poursuit depuis plus de vingt ans. Par cette exposition, j’avais envie de montrer la richesse, mais pourquoi pas aussi la complexité de cette œuvre picturale, sculpturale et sonore dont l’un des axes majeurs est la poésie du presque rien.
Comme souvent chez Pierre Gerard, le titre de l’exposition intrigue. Il provient d’une discussion, d’un échange informel sans appareillage savant alors qu’il semble provenir d’une conversation de philosophes exégètes de la pensée du maître hollandais. Comme souvent chez Pierre Gerard, le titre nous laisse en suspend. On ne sait au sujet de quoi Spinoza est lucide. Ni, d’ailleurs, ce qu’est être lucide. Et surtout comme pour le reste, il croise culture savante et quotidienneté.
Le travail de Pierre Gerard est apparu sur la scène belge au travers de petites peintures figuratives dans les années 1990. L’artiste y représentait des objets ou lieux à la banalité paradoxalement intrigante. Nombre d’entre eux possédaient un écho lointain avec certaines pratiques d’artistes contemporains : une enseigne de pharmacien renvoyant à la question de l’urgence chez Joseph Beuys. Pour autant aucune nécessité à réviser toutes les publications d’une bibliothèque spécialisée, les tableaux possédant un charme envoutant.
Par la suite, il développa son intérêt pour les objets en réalisant des sculptures alliant patience et poésie, incluant différents éléments empruntés au réel. S’en dégage une série de matériaux régulièrement utilisés : bois, feutre, pâte à modeler, cuir, pierre, plâtre … Il coupe, ponce, accumule, fait dialoguer ou oppose des formes, des matières dans un savant mélange dont l’équilibre esthétique peut mettre des années à s’établir au fil des reconfigurations.
Le plus souvent elles sont dans des vitrines ou directement protégées par des boites issues directement du vocabulaire de notre réel puisqu’on les trouve dans nombre de nos cuisines. Sur des tables de tapissier vient se poser une sélection de sa production sculpturale de 1990 à nos jours.
Après une période de près de 10 ans sans production picturale, Pierre Gerard a recommencé à peindre. Conservant une pratique d’huile sur carton, il puise ses sujets dans différents territoires: cinéma principalement mais aussi histoire de l’art ou photographie de mode. Chaque image est volée (c’est le titre générique de ses peintures). Mais la capacité de l’artiste à leur donner une forme picturale par la maîtrise et la variabilité de la gestion de ses touches est proprement vertigineuse. L’exposition propose deux peintures qui proviennent de l’univers cinématographique. L’une, d’un film de Bruno Dumont (son unique film dont l’intrigue se déroule aux Etats-Unis) l’autre, d’un film Japonais (on l’identifie par la nature des passages piétons). Ce tableau a comme particularité d’être le plus grand actuellement produit par l’artiste mais aussi d’être le premier a intégrer une dimension surréaliste. En effet, le visage du passant est remplacé par une énorme tortue. Cette particularité le relie à une grande tradition belge. Cette même tradition surréaliste qui très souvent met en boîte.
Je ne sais pas si Spinoza est bien lucide mais je sais que le mystère des œuvres de Pierre Gerard gagne à être observé avec une attention toute particulière qui correspond parfaitement à l’espace intime et singulièrement presque spirituel de V2Vingt.
L’exposition est réalisée avec la complicité de LMNO qui représente le travail de Pierre Gerard.
Christophe Veys
Finissage: samedi 12 Mai 2018. 16h-19h00
Une proposition curatoriale de Roman Moriceau
Avec le soutien de la galerie Archiraar.com
Lors de l’édition 2017 de Poppositions, mon attention avait été retenue par une fascinante pièce sonore de Roman Moriceau : des chants d’oiseaux…de simples chants d’oiseaux qui plongeaient la foire dans une atmosphère de détente, de bien être et de zenitude absolue, comme proposée par un guru de la psychologie positive vous vendant une reconnexion numérique avec la nature…
J’ai donc demandé à Alexis et Octave, fondateurs de la galerie Archiraar, ce que signifiait cette pièce. La réponse fut aussi violente que les chants étaient séduisants : « Ce sont des chants d’espèces d’oiseaux disparues de la planète ».
Quand j’ai fondé le V2Vingt, j’avais déjà cette oeuvre en tête et le désir de l’isoler dans cet espace personnel s’est rapidement fait sentir.
J’ai dès lors contacté Archiraar qui m’a présenté l’artiste, qui a accepté ma proposition.
L’exposition commence donc avec une carte blanche jouée par Roman en invitant trois autres créateurs à se joindre à lui : Anne-Charlotte Finel, Jean-Baptiste Bouvet et Ella Littwitz.
Et voilà comment je perçois les affinités qui naissent de la rencontre de ces quatre personnalités distinctes :
Anne-Charlotte Finel capte des moments troubles ou l’environnement semble incertain, voire surréel. L’interrogation s’arrête sur l’outil même de la perception dont dispose notre corps, en fonction du moment et de l’environnement perçu. Plus concrètement, les images et vidéos d’Anne-Charlotte sont prises au lever d’un jour, à la périphérie d’une ville. Elle sont diluées par le grain de la prise de vue à une heure ou la lumière ne permet pas à l’objectif (ni à l’oeil) d’être optimal.
Jean-Baptiste Bouvet Travaille sur l’environnement de l’espace d’exposition. Comme Finel, il se situe à la frontière de quelque-chose : à la frontière du monochrome qui n’en est pas tout à fait un, à la frontière d’une porte qui hésite entre l’imitation, l’artefact ou la peinture qui s’affirme pour elle-même. Comme Finel et Moriceau, il semble davantage attaché à la perception qu’à la symbolique. Il travaille l’information à son degré minimal.
Ella Littwitz est, quant à elle, bien plus attachée à la symbolique et son travail traite l’information comme le symptôme d’une réalité identitaire à comprendre. Artiste israélienne, Littwiz questionne la présence politique, économique, géographique et géologique d’une frontière autant que sa réalité psychologique. Les matériaux minutieusement choisis renvoient à des réalités historiques qui parlent des fondements d’un monde éternellement en construction.
Roman Moriceau développe un travail a priori séduisant que je qualifierais aussi de perceptuel. Mais la quasi totalité de ses oeuvres repose sur une contradiction entre la matière et l’image. La surface est souvent lisse, attrayante et parfois proche du glamour. Rien ne peut salir l’idée qu’on s’en fait tant qu’on se tient à l’abri de l’information : seule l’ignorance nous sauve. Toute personne demandant à connaître le processus de création s’expose à voir ses illusions s’effondrer. Et c’est peut-être tout le fond de la démarche…
L’ensemble est un équilibre entre la mélancolie et le mystère, ou entre le doute et la révolte. On est forcément à la frontière entre des choses qui refusent de se laisser définir. On est ‘entre’…et on va y rester.
Laurent Jourquin
Samedi 28 avril 15h – 19h / Vendredi 4 mai 18h – 21h / Samedi 12 mai 16h – 19h
Et sur rendez-vous.